Paul-Albert Rudelle
PARFOIS
recueil quantique
& nouvelles minuscules
Hors la Loire – 2022-3
PARFOIS - 92 pages - Prix : 10 €
PAR-FAL-HLL 2022-3
Couverture : : Tranche de Tronc 3 © P.-A. Rudelle
Parfois Avant-Propos
La position de « Parfois » dans le monde de l’écrit reste indéterminée, surtout si on cherche à le classer dans une catégorie précise et fermée. « Parfois » relève d’une mécanique quantique de l’imaginaire. Si on ne se pose pas la question, si on le lit, si on éprouve sa dualité onde corpuscule, on sait alors à quelle vitesse on s’est laissé pénétrer (ou pas) par les états dévoilés, peu importe alors son lieu exact d’implantation dans l’espace culturel situé. Au diable Heisenberg.
« Parfois » « est » et « n’est pas », une succession d’états discrets, séparés par des sautes d’énergie et d’humeur. De temps en temps, de temps à autre, à autre chose, ni continuité, ni homogénéité, recueil parcouru de sursauts quantiques, agité lors des passages brusques d’un niveau à un autre. Cependant aucune constante de Planck ou de quiconque ne se manifeste, l’irrégulier est la mesure, une girouette comme boussole.
« Parfois » est une porte de Schrödinger, une superposition de portes ouvertes à des degrés divers jusqu’à la fermeture. La lecture de « Parfois » conduit fatalement à sa décohérence, à l’effondrement de cette superposition. Mais sa préexistence fragile n’est peut-être pas sans effet sur la lectrice ou le lecteur.
L’intrication de l’écriture de l’un à la lecture de l’autre permettra sans doute d’observer des phénomènes de téléportation des humeurs. Peut-être pourrons-nous aussi constater la traversée de l’opacité des solitudes par quelques photons émotifs, « effet tunnel » propre à ce genre d’activités.
Par ailleurs, comme dans la fable de Francis Ponge, par mes initiales débutent cette phrase et toutes celles que «Parfois » ouvre. Et ma foi, cela n’est pas rien. Pourtant, malgré ses apparences, « Parfois » n’est en rien oulipien. Si la contrainte aiguise un style, creuse la langue pour y mettre à jour des formulations originales et profondes, elle enferme aussi, on y entre comme dans une mine et l’on suit les veines riches, parfois jusqu’à l’étouffement.
Ici nulle contrainte, plutôt une exploration des paysages intérieurs, une balade à ciel ouvert, une errance verbale proche de l’association d’idées chère à la psychanalyse. La méthode est simple : écrire le mot « parfois », en tête ou sur papier, et laisser venir les protopensées, les images, les visites, les confidences ou tout autre énoncé qui apparaitrait. Dans un léger différé laisser ce qui vient se formuler, formules dont la magie n’est jamais loin, sans en chercher la maitrise, sans tuer l’envol de ce qui se déploie, sans brider les échos. Une vigilance cependant : éviter de glisser sur des pentes communes et tenter d’ouvrir des voies inexplorées.
Parfois a reçu déjà quelques retours d’ami.e.s lectrices et lecteurs :
Sylvette Lauret :
Parfois une rencontre vous touche au plus profond... C’est ce qui m’est arrivé ce 11 décembre, jour particulier, en cheminant dans ton livre.
Christian Sterne :
J'ai été bien touché par Parfois. Vraiment. Par son concept mais surtout par son contenu, son écriture.
Régine Paquet :
J’ai fini de lire depuis un moment « Parfois », je t’en ai déjà parlé mais je vais le faire plus en détail.
J’aime le format du recueil qui tient facilement dans la main, sa clarté, son efficace simplicité.
J’aime le contenu que l’on peut relire par fragments comme des haïkus en prose ou un journal de pensées et sensations.
Je me retrouve dans beaucoup de tes « parfois".
Un recueil sobre, plein de sensibilité et de sincérité. De la poésie que j’aime.
Il se rapproche de la sensibilité, la délicatesse, la finesse de certaines de tes photos-gravures d’arbres ou de leurs branches. Celles qui sont chez Guilaine me touchent, me parlent.
Bon, j’arrête, tu vas avoir la grosse tête ! ...
Extraits premières pages PARFOIS :
Parfois, la gentillesse sourde des araignées, leurs descentes sans vertige du ciel des chambres, leur vacarme silencieux sont un réconfort.
Parfois je m’enterre avec ma taupe. Elle me creuse des galeries chaudes et aérées. Nous voyageons longtemps, moi derrière, elle devant. Elle creuse comme on nage la brasse. Quand elle tombe sur un ver blanc ou une racine juteuse, elle se retourne toujours pour m’en proposer le partage. Devinant sa faim, je refuse prétextant je ne sais quel repas mal digéré, après tout c’est elle qui creuse et a bien droit à ces petits avantages en nature que lui procure son travail. Je ne fais que ramper. Un de mes plaisirs dans ces moments est d’admirer son postérieur gris et rebondi quand elle remonte à la surface et donne de la lumière à notre intimité. Quand la fatigue surgit, elle s’arrête d’un coup et s’endort. Je me contorsionne un moment – ses galeries sont étroites – pour me mettre dans le sens du retour. Je rejoins alors la taupinière la plus proche par laquelle je m’extirpe. Souvent j’émerge à quelques dizaines de mètres de mon trou. En courant pour délier mes membres, je m’y réfugie et m’endors à mon tour, heureux.
Parfois le feutre humide de l’escargot… on sent qu’il peine à se hisser sur la vitre. La trace qu’il bave écrit la question de sa quête.
Parfois j’ai froid à l’âme, je pisse un sang de vache noyé d’adrénaline, je pue les abattoirs, je schlingue le carnivore, j’empeste la bêtise et la mort.
Parfois, distrait, j’écrase d’un pouce aveugle une araignée chatouilleuse égarée sur ma nuque. Le refus d’une caresse signe parfois la mort.
Parfois les mouches s’agitent au plafond du salon de façon exagérée. Elles marquent ainsi, réfugiées climatiques, leur joie d’être protégées de la canicule.
Parfois, à l’automne, j’inquiète les corbeaux. Je m’approche de l’arbre où est perché le guetteur de la petite troupe qui vit alentour. Je me fige au pied le nez dressé vers lui, il croasse, je ne bouge pas, ses croassements s’intensifient et finalement il se décide à s’envoler, va se poser sur un arbre plus loin. Je le suis le nez en l’air et m’installe à nouveau au pied de son perchoir. Là, il n’attend pas, il s’envole en croassant et rejoint le bois où niche sa troupe. Il espère sans doute me décourager. Je le suis à travers les champs boueux fraichement labourés. Une fois arrivé à l’orée du bois, il pousse un cri d’alerte et toute la troupe s’envole courroucée, elle traverse la Loire. Je peux apercevoir sur l’autre rive les taches noires disséminées sur les acacias dénudés, dans l’attente de mon retrait. Quelques gouttes m’alertent mais il est trop tard, je rentre sous l’averse et arrive trempé à la maison, satisfait. Je remettrai ça un autre jour.
Parfois les jeux de pies dans les sapins, poursuites sautillantes, envols brefs, de branche en branche vers le sommet, puis retour au sol en plané. Ce sont de jeunes pies, vols maladroits et saccadés. A mon alerte, elles franchissent la haie et vont se perdre dans le pré aux chevaux.
Parfois au ciel de ma chambre quelques mouches affolées, trop nerveuses pour être gobées. Une gifle aigüe et ajustée oriente leur vol désordonné vers des recoins où mes araignées patientes leur bavent des camisoles.
Parfois des êtres de peu viennent bousculer les préjugés. C’est le sort des limaces qu’un pied distrait écrase : du dégoût, quand pour les escargots nous éprouvons une désolation rageuse. Mais bon sang ! Que faisait-il là à une heure pareille ? Nous devinons sous la lumière des lampes de poche quelques trainées brillantes que la prochaine pluie avalera ou qu’un soleil contractera jusqu’à l’effacement. De ces disparitions nous ne parlerons pas : esquisses de regret ou de répulsion vite diluées dans le fleuve des émotions. Peut-être accumulées, ces poussières de sentiment se feront moutons sous le lit de la vie et accèderont enfin à l’existence, objets autres que l’insignifiance saupoudrée sur l’univers.
Parfois à force de paniquer les poules dans des bassecours enfantines, de chasser les vieux coqs dans des duels sans épine, d’effrayer les poussins par des colères mesquines, de faire main basse sur les œufs en de médiocres rapines, j’éprouve un sentiment honteux de puissance ridicule.
Parfois la secousse est si faible qu’aucun sismographe ne la détecte. Pourtant les animaux la ressentent, les chiens aboient, les corbeaux s’envolent. Mon cœur aussi est sensible à ces tremblements inaperçus. Peut-être ne suis-je pas seul ?
Parfois je regarde la mer et je deviens la mer, informe et massive, agitée de caprices et d’écume, en proie à des courants dédaigneux.
Parfois je suis la pierre sur le chemin, enfoncée dans une flaque de boue, impatiente qu’un accident me déplace.
Parfois je deviens cet arbre au bord de la falaise, les racines agrippées dans le profond du sol rétracté, les branches souples à provoquer le vent.
Parfois je suis le vol des rapaces, les ailes déployées, mouvements imperceptibles pour caresser l’air qui me porte, bec comme une mire, aguet des courses sous mon ombre.
Parfois, escargot, je me réfugie où ma coquille est dorée sous un soleil trop large.
Parfois un pigeon s’impatiente sur le tremble mort. La branche sur laquelle il se pose est son lieu de rendez-vous. Y-a-t-il mesure du temps dans une cervelle de pigeon ?
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